La recommandation musicale via les nouvelles technologies
18 Mai
L’environnement Internet est saturé d’informations, particulièrement en ce qui concerne la musique. Découvrir des nouveautés peut s’avérer autant facile que difficile. De ce fait, on parle de plus en plus de recommandation et prescription musicales: des algorithmes régulièrement améliorés prennent en compte des caractéristiques très précises pour arriver à une sélection la plus objective possible, ensuite proposée à l’audience. Ces systèmes d’analyse peuvent-ils remplacer l’aspect humain dans une démarche de recommandation musicale?
Musique à l’ère Internet: une consommation au clic
L’arrivée d’Internet a augmenté le nombre de supports de diffusion comparativement aux labels et majors à l’époque de la distribution physique. Les artistes ont retrouvé une place plus centrale, en rapport avec des services qui ouvrent des possibilités d’innovation et d’indépendance. Des services généralement pas encore bien modélisés ni viables économiquement (plateformes de streaming): Deezer, Spotify, Youtube, Beats, Last fm… D’autres plateformes sont axées sur le direct-to-fans: Bandcamp, Soundcloud, TopSpin, Pledge… Existent aussi de nombreuses applications et start-ups… Cela représente une abondance de titres, synonyme d’une richesse incroyable, mais souvent mal exploitée: sur Spotify 4 millions de titres n’avaient jamais été écoutés en 2013. Pour un artiste en développement, être découvert sur Bandcamp et autres services pour indépendants s’avère parfois très difficile. Youtube regorge d’un surplus de vidéos et nécessite un travail en amont pour y assurer une présence conséquente.
L’audience s’attend à ce qu’on lui simplifie la tâche. N’est-ce pas le but des nouvelles technologies? Proposer de l’instantané pour répondre à un mode de consommation qui fonctionne au clic. Un nombre de chansons insensé pour une population qui a facilement accès à Internet. Des millions (milliards?) de personnes sont connectées en permanence. La recommandation musicale existe depuis longtemps grâce aux journalistes, disquaires, DJ’s radio, le bouche à oreille. Avec l’extrême sur-stock de musique sur Internet, elle a pris une nouvelle dimension. L’enjeu utilisateur est de recevoir ses propres flux d’écoute sélectionnés au préalable via des technologies de plus en plus poussées. La recommandation musicale à l’ère numérique est devenu un facteur très concurrentiel: satisfaire au mieux une audience qui recherche des nouveautés, et la fidéliser.
Recommandation musicale et algorithmes
Les plateformes de streaming engagent des éditeurs musicaux spécialisés, qui vont par exemple créer des playlists par styles et sous-styles. Un concept devenu un standard. On y dénote un aspect humain qui ne peut être totalement objectif. L’homme comme la machine peut trouver une cohérence entre deux morceaux, mais selon des critères de sélection différents: expertise et culture VS algorithmes et calculs.
L’aspect social revêt également une grande importance. Sur Twitter la musique y est le plus grand sujet de discussion, et les vidéos musicales se partagent très bien sur Facebook. Avec une majorité de plateformes comprenant des options de partage, le flux d’information en circulation est immense. Des personnes sont plus prescriptrices, d’autres plus à l’écoute. Ces interactions permettent alors de regrouper des données sur un internaute, et de créer un profil de ses goûts. Une application de reconnaissance musicale telle que Shazam est une source de données très riche. Via les demandes d’identifications, il est alors possible de déterminer des tendances. Elle est très populaire avec 100 millions d’utilisateurs actifs par mois. La recommandation musicale se décline même au spectacle vivant. La société canadienne Greencopper, spécialisée dans les suites logicielles pour la gestion des festivals et applications utilisateurs, fait de la prescription personnalisée. Un moyen pour découvrir des artistes confidentiels lors des événements, en alimentant et segmentant la communauté des festivaliers.
L’idée pour les plateformes est d’emmagasiner le plus d’information possible sur une personne. Une société comme The EchoNest propose une série d’API utilisés par des services de streaming, pour offrir aux utilisateurs une recommandation musicale. A partir des données récoltées, elle a pour vocation d’extraire une forme d’intelligence, pour nuancer les profils et les contextualiser. Spotify à d’ailleurs racheté The EchoNest en 2014. L’idée étant de certainement devenir un leader de la recommandation musicale. Un journaliste de The Guardian a écrit un article test: Spotify possède 6 ans de mes données musicales, mais comprend t-elle mes goûts? Voici comment la plateforme a établi son profil (en citant un condensé de cet article en français, publié par Rue89):
« L’algorithme de recommandation se base sur plusieurs critères pour établir un profil…: les chansons écoutées et les artistes, les styles de musique correspondants, l’acoustique, le tempo et la «dansabilité» des chansons sont prises en compte. Ces données sont comparées à celles des autres utilisateurs et donne un profil organisé par «cluster» (regroupement) de genres musicaux les plus appréciés. Il classe également l’utilisateur selon son profil d’écoute: écoute-t-il beaucoup de musique ou peu? Fait-il beaucoup d’échantillonnage? Ecoute-t-il les artistes en profondeur ou en surface? »
Cet algorithme déjà poussé pourrait être agrémenté avec un autre développé en interne par Spotify, appelé Nestify (suite au récent rachat de The EchoNest). Le temps serait pris en compte (heures matin-soir par exemple), permettant de contextualiser au mieux. Aussi les clusters serviront à générer 3 types de playlists: « Ma musique », « Découverte », et une playlist par défaut. On précisera que chaque service a sa propre forme de recommandation: tags / données d’activités / analyse acoustique (Last fm), playlists fans et éditeurs (Songza), achat et navigation (Amazon)… Vous en saurez plus dans cet excellent article en anglais, très complet: How music recommendation works — and doesn’t work.
Un grand enjeu de la recommandation musicale est d’emmagasiner les informations à interpréter pour ensuite les traduire selon chaque utilisateur, en créant de la valeur: c’est le concept du data mining.
Humain VS machine
Comme le disait notre ami disquaire Genevois interviewé dans MusicMug: Internet, c’est une machine un peu trop aléatoire. La machine peut-elle avoir la subtilité de l’oreille humaine? Par rapport à sa culture et son expérience, donc très subjective, un humain ne propose t-il pas une recommandation musicale avec spontanéité par rapport à une machine formatée? Dans le cas d’un disquaire: au fil d’une discussion, il va pas à pas comprendre le client mélomane, en sollicitant des points sociaux, culturels, etc.; qui permettent d’en savoir plus sur une personne, et d’anticiper. Aussi, n’avez vous jamais discuté avec un collègue musicien: « Ce riff de guitare me fait penser à X… Oui un peu, mais moi je pense plus à Y, t’entends comment sonne l’ensemble avec le groove de la batterie? » Le genre de discussion où l’on va citer une pléiade de références ;) Cela se traduirait, en matière de recommandation musicale, par l’analyse du signal. Les titres sont analysés par un logiciel qui va classer les données selon la tonalité, les fréquences, le rythme… Les instruments peuvent même être étudié séparément, avec une certaine facilité selon leur type/famille. Un procédé étudié depuis une dizaine d’années, encore à un stade de développement. Des fans de groupes avec des carrières conséquentes et des albums éclectiques, pourraient être orientés vers des artistes moins connus, issus d’horizons divers. Les possibilités de connexions sont très grandes. Mais au delà entrent en compte des critères d’univers artistiques: des groupes parfois très éloignés au niveau de l’image, du style et du public, sont musicalement proches sur certains morceaux. Les genres se sont tellement segmentés et sous-segmentés avec Internet que la mission semble colossale pour développer une recommandation musicale prenant en compte toutes ces données. Le classement objectif d’informations pour une chanson ne peut pas encore différencier des points de perception personnels et émotionnels vis à vis d’un groupe et de son univers.
La recommandation musicale via les nouvelles technologies est un enjeu du futur, et il faut reconnaître que la politique éditoriale de certaines plateformes est loin d’être mauvaise. Des bonnes playlists, articles et contenus divers. Dans l’idéal d’un modèle de recommandation musicale ultra-performant, même avec des goûts qui s’entremêlent, la palette de découverte est très large, y compris pour les grands connaisseurs. Mais toute cette collecte d’informations sur un seul utilisateur peut faire peur. Veut-on d’une intelligence artificielle qui en connaît trop sur nous? Ainsi faut-il laisser des algorithmes choisir? Humaniser des calculs est encore compliqué. Trouver un équilibre entre puissance de l’algorithme et curation musicale semble un point clé. Mais les conseils d’un disquaire, d’un ami, d’une rencontre fortuite, sont le meilleur moyen pour entretenir la passion et la curiosité autour de la musique.
Crédit photo piano: Susanna Bolle Flickr CC BY-SA 2.0
Bonjour,
Dans le même thème, je souhaite vous présenter notre service, playlist4me. Il s’appuie sur un mécanisme d’intelligence artificielle – qui pousse de nouveaux titres en fonction de l’interaction de l’internaute (j’aime ou non une chanson). Mais, comme souligné par Luc Mug, la culture musicale est effectivement indispensable. Il a fallu un travail humain de classement et d’archivage de nombreuses heures de musique avant de pouvoir proposer un contenu efficace.
L’ensemble – du coup – fait l’objet d’un service payant, mais permet de sortir un peu des sentiers battus du catalogue des majors.
Bonne écoute !
Bonjour,
Merci de me faire part de votre projet qui mixe humain et puissance de l’algo !
Avec plaisir ! Je vous invite à vous rendre sur cette page https://www.playlist4me.com/a-propos/ qui présente sommairement notre projet. La partie « Discovery » du site fait l’objet du service de recommandation musicale personnalisée. La promesse est la suivante : 4 nouveaux titres envoyés par semaine – en affinité avec les goûts de l’utilisateur.
Pour cela, il faut que l’utilisateur interagisse avec l’outil (en choisissant « J’aime » pour les titres qui lui plaisent ou Out pour les exclure). En fonction de cette interaction l’algorythme va pousser certains titres plutôt que d’autres.
Mais pour arriver à ce niveau de recommandation, il a fallu alimenter la machine avec un classement et un archivage humain monumental – mais indispensable pour y arriver.
Merci !
En matière de musique, et de création artistique plus largement, rien ne remplacera la culture empirique humaine, telle que celle développée par toute personne attachant une réelle place à la musique (comme celle que l’on réserve au vin, BD et tout autre artiste ou objet de collection). Il faut également compter sur le fait que, bien que ces applications soient censées établir des profils personnalisés, ceux-ci sont forcément recoupés avec des données plus généralistes, telles que la popularité d’un titre… Simplement pour répondre à des préoccupations marketing; la collecte et la confrontation/vérification de données étant la pierre angulaire du business 2.0. De là, il est clair que la recommandation musicale ne peut pas être totalement objective (ou subjective du point de vue de l’utilisateur). Aujourd’hui comme hier, et pour longtemps encore, la culture musicale est donc indispensable.
LA CULTURE MUSICALE EST DONC INDISPENSABLE. Parfaitement d’accord! Culture musicale (une partie!) qui peut se construire par la recommandation musicale via le web. Faut-il encore être sur le bon support… Dans l’état actuel des choses, concernant l’analyse des données, on ne peut savoir si c’est vraiment objectif: sur les plateformes de streaming telle que Deezer, Spotify, Beats etc. Sur Youtube, ce sont les utilisateurs qui mettent en ligne et travaillent le référencement (certes à leur guise). La preuve en est, j’ai découvert des groupes beaucoup plus intéressants et variés sur Youtube que sur n’importe quelle autre plateforme de streaming. Les technologies progressent en matière de recommandation, mais le problème reste aussi la taille et la variété du catalogue des plateformes payantes. Trop restreint à mon goût, même si on compte les titres par millions…
Le problème des recommandations est qu’un abonnement type Deezer permet d’être utilisé pas trois appareils pouvant correspondre à 3 profils différents . Comment l’algorithme peut-il en tenir compte ?
Bonjour, je pense que vous vous connectez avec un seul et même profil sur les 3 appareils. Les données sont enregistrées à partir de ce profil; qu’importe l’appareil utilisé.