Neil Young lance un baladeur haute définition sonore | MusicMug

Neil Young peut-il « réorienter » le grand public avec le lancement de son baladeur haute définition sonore?

19 Mar

Neil Young est connu pour être un opposant au numérique, et ce même depuis l’avènement du CD. On peut comprendre la position de l’artiste, issu d’une génération ayant fait ses classes dans le son chaud du vinyle en y gravant des pépites. En lançant son baladeur haute définition PonoPlayer, il souhaite éradiquer le format Mp3. Dans un contexte numérique où le standard d’écoute est compressé et entraîne une perte de qualité du signal, Neil Young ne ferait-il pas que rendre hommage à la musique, fort de sa notoriété? Bien que l’aspect financier soit indubitable et fasse se questionner sur l’authenticité de l’opération…

Neil Young peut-il "réorienter" le grand public avec le lancement de son baladeur haute définition?

Neil Young, folk-rocker, dans un article de Rolling Stones: « Lorsque j’ai commencé à enregistrer des disques, nous avions 100 % du son. Et quand vous les écoutez en MP3, au même volume, les gens quittent la pièce. Ce n’est pas que le digital soit mauvais ou inférieur. C’est la manière dont il est utilisé qui n’est pas suffisante pour restituer la profondeur d’une œuvre ».

Ce nouveau baladeur, en synchronisation avec le service de téléchargement haute définition sonore PonoMusic, délivre des fichiers au format Flac (Free Lossless Audio Codec). Un des formats les plus performant du marché, lui aussi compressé, qui n’enlève aucune information du flux audio avec une meilleure qualité que le CD. Tout l’inverse du mp3 qui stocke le maximum de titres dans un minimum de place: la musique est délivrée en 192 kb/s ou 256 kb/s, souvent dans le cas du téléchargement illégal (kb/s = kilobit par seconde). Sur les plateformes légales comme iTunes, Spotify, Deezer, la norme est aujourd’hui de 320 kb/s: cela équivaut à peine à la restitution de 1/4 de la qualité CD (1411 kb/s), elle même amoindrie par rapport au master d’enregistrement original sorti du studio… D’où le retour en force du vinyle, capable de bien mieux restituer ce master… Et aussi la raison d’être du PonoPlayer. Un cri crédible de la part de Neil Young, un « vieux de la vieille ». Selon Futura Sciences, la mémoire est de 64 GO extensible à 128 GO, ce qui correspond à un intervalle de 100 à 500 titres au format Flac, selon la qualité audio choisie: du CD (1411 kb/s) jusqu’à l’ultra-haute résolution (9216 kb/s). Une capacité de stockage « raisonnable », se focalisant sur la qualité d’écoute et une sélection au préalable; et non une quantité de titres hallucinante défilant en aléatoire. On y retrouve une certaine synergie avec le « Slow Listenning », abordé précédemment dans le blog.

Comparaison entre les formats Flac et Mp3

Pour assurer la production de l’appareil, doté de composants électroniques haut de gamme, Neil Young a créé une société (Pono) et fait appel au crowdfunding via une campagne Kickstarter. En a-t-il vraiment besoin, en terme de moyens financiers? On s’imagine que non. Mais sûrement plus comme une visibilité médiatique, amplifiée par sa notoriété et la vitesse de partage des flux Internet. Sans oublier l’appui de stars confirmées et talentueuses plus des gros acteurs du music business, dans une vidéo promotionnelle: Elton John, les vieux compères de route de Neil Young: David Crosby et Stephen Stills, Norah Jones, Beck, Eddie Vedder (Pearl Jam), Mike D. (Beastie Boys), Bruce Springsteen, Patti Smith, Foo Fighters, Sting, The Black Crowes, Elvis Costello, Kid Rock, Jackson Browne, Red Hot Chili Peppers… On continue?… Efficace pour justifier au mieux son produit vis à vis du grand public. Neil Young, lui même une légende, a croisé le fer avec d’autres légendes et peut se permettre de s’entourer comme bon lui semble avec des artistes de plusieurs générations.

Des stars que l’on retrouve aussi sur des éditions limitées du Pono Player avec le « Artist Signature Series ». Comme sur les modèles custom de guitares… Action marketing bien pensée, tout à leur avantage, qui est aussi très discutable, puisqu’une partie des participants à la vidéo promotionnelle auront leurs noms gravés sur ces séries limitées, allant du country/folk au métal en passant par le jazz: Red Hot Chili Peppers, Lyle Lovett, Jackson Browne, Neil Young, Tom Petty, Crosby Stills Nash & Young, Foo Fighters, Willie Nelson, Metallica, Patti Smith, Arcade Fire, Beck, Dave Matthews, Herbie Hancock, Norah Jones, Lenny Kravitz, Pearl Jam, My Morning Jacket, James Taylor et d’autres à venir. Quant au prix: 400 dollars pour le baladeur, avec des albums coûtant entre 14.99 dollars et 24.99 dollars.

Finalement, il n’y a rien de très original dans le concept de Neil Young. Ce type de baladeur existe déjà (sans compter les smartphones), à des prix élevés, et d’autres sites de streaming/téléchargement légaux proposent des formats Flac à des prix équivalents. Il serait très pertinent de connaître ce qui est reversé aux artistes. On est dans la gamme de prix du CD, voire plus. Est-ce une opération qui va engranger des revenus plus élevés que la faible moyenne sur Internet? Cela reste encore flou et dépend des accords passés avec les maisons de disques. On peut légitimement s’inquiéter. Dans le cas du CD, la part reversée aux artistes sur le prix de vente est très basse, avec des proportions énormément déséquilibrées, ce qui est encore pire avec Internet. Neil Young veut-il se remplir les poches, ou est-ce le sursaut d’un vieux guerrier qui clame son amour du beau son? Il est vrai que sa campagne égayée par des puissants atouts marketing permet d’émettre des doutes.

Neil Young peut-il réveiller les consciences et recentrer les auditeurs sur la qualité sonore?

La musique enregistrée est toujours plus présente dans le quotidien des gens. On n’a jamais autant produit et écouté de musique qu’aujourd’hui, en lien avec l’évolution des nouvelles technologies. La dématérialisation de la musique impacte la façon d’écouter et de consommer: il y a une surabondance de musique, que l’on peut facilement échanger et stocker. La triste tendance est que les internautes téléchargent bien au-delà de leur capacité d’écoute. Votre serviteur connaît des personnes qui ont 1000 GO de musique stockée… Une quantité insensée qui désacralise la musique… Et fait baisser sa valeur symbolique et monétaire auprès du public.

Un artiste comme Neil Young apporte son image à un débat qui se relance à chaque apparition d’un nouveau support, et très justement amplifié dans le cas du numérique. Le son haute définition est un monde à part, que l’on peut assimiler à une niche. Les mélomanes fidèles au son pur n’ont pas attendu le PonoPlayer pour s’équiper. Si l’on ajoute le prix d’écouteurs et de câbles haut de gamme pour restituer au mieux le son, c’est une chaîne de l’audio coûteuse. Pour beaucoup, la musique est un bien qui s’assimile à une consommation de masse, où l’on ne prend plus forcément le temps d’écouter un album, mais de « switcher » en permanence. L’aspect pratique semble le plus important, avec des baladeurs abordables à des tarifs toujours plus compétitifs, supportés par des grandes campagnes médias. Avec son nom et sa campagne, Neil Young aura au moins le mérite de soulever la question de la qualité sonore à une plus grande échelle, à défaut de convertir le grand public.

Crédits photo à la une: Chris Heald/Wikimedia Commons/CC-BY-2.0

2 Réponses pour “Neil Young peut-il « réorienter » le grand public avec le lancement de son baladeur haute définition sonore?”

  1. 19 mars 2014 à 12:50 #

    Mon opinion rapidement sur le sujet:

    POUR: Le lecteur peut peut-être éventuellement démocratiser le format FLAC, qui soit dit en passant existe depuis belle lurette, donc côté innovation il faut se calmer un peu. En bout de ligne, ça peut être un plus pour l’industrie dans le sens ou ce « nouveau standard », une fois répandu, deviendra peut-être la norme donc nous aurons de la musique de meilleure qualité sonore dans nos lecteurs.

    CONTRE: Tout le truc « Neil Young » est un gros coup marketing où il devient en quelque sorte la « mascotte du produit ». Avis aux intéressés. On peut lire le format FLAC dans plusieurs modèles de téléphones sous ANDROID et ce depuis de nombreuses années. Moins chers et en même temps ça vous fait un téléphone… Donc en bout de ligne, où est la réelle innovation? Selon-moi, plus dans la campagne de promo et le débat soulevé par cette dernière que dans le produit… J’écoute des fichiers « FLAC sans perte » depuis 4 ans maintenant dans mon cellulaire ANDROID… Tout l’excitement autour de ça me fait un peu sourire.

    De plus, quand on considère que les albums téléchargeables à partir de la plateforme se vendent aux alentours de 18$ pour une copie numérique prétextant la haute fidélité, je considère qu’une partie du plan est de permettre aux artistes de toucher plus de bénéfices sur la vente d’albums numériques. Rappelons-nous que l’ancien modèle, avec le CD à 18$, nourrissait principalement la bouche des maisons de disques et des distributeurs. Dans ce modèle, les artistes ne touchaient que quelques dollars par copies vendues. À l’ère du numérique et de son « autoproduction », et à l’élimination de certains intermédiaires en ce qui a attrait à la distribution, on peut donc déduire qu’une grande partie du 18$ ira dans les poches des artistes. Si tel est le cas, c’est une excellente nouvelle pour l’industrie. Sinon, tout cela est bien douteux $$$ et notre ami Neil n’est pas vraiment le « Lifeguard moderne » du sauvetage de la musique numérique.

    D’ailleurs, je conseille de regarder la vidéo de promotion de 15 minutes enfilant une joyeuse parade de têtes d’affiches qui nous donnent leurs états d’âmes sur le fameux lecteur. D’un point de vue technique, certains arguments sont vraiment douteux… On comprendra que cette nouvelle source de revenu potentiel pour les artistes peut sembler alléchante. Donc en fin de compte, dans ce cas là, l’habit fait-il vraiment le moine? L’avenir nous le dira. Pour l’instant, laissez-vous convaincre, ou pas, par cette parade de témoignages pas toujours très scientifique…

    http://vimeo.com/89438351

    • 19 mars 2014 à 20:45 #

      Merci Nicolas pour ce commentaire constructif. Effectivement le Flac n’est pas nouveau et il n’y a pas grande révolution dans le projet de Neil Young. Il n’est pas le « Lifeguard moderne » de la musique numérique, comme vous le dites très bien. Il y a tout une excitation qui s’est faite autour de sa campagne, qui, il faut bien le reconnaître, fonctionne. Aujourd’hui 19 mars, il a récolté 4 282 000 dollars sur un but initial de 800 000 dollars. Une campagne tellement bien appuyée par des artistes de qualité que cela rappelle l’énormité du Live Aid, réunissant des stars du même calibre, bien que le message soit tout autre. Des stars qui n’ont sûrement pas participé aussi innocemment que cela le laisse entendre. Précisons que les séries limitées du baladeur, au nom de bon nombre des participants à la vidéo promotionnelle devront se vendre… Tout ceci est discutable et peut faire douter… D’autant que d’après vous, certains termes techniques explicités semblent biaisés. Cette campagne s’adresse au grand public, et non pas à des puristes du son, qui, comme précisé dans l’article, sont déjà équipés et n’ont pas attendu la venu d’un messie pour se réchauffer les tympans. Les smartphones, ou autres baladeurs haut de gamme font déjà le travail. Neil Young vend un concept auquel s’affilie un état d’esprit, visant une cible plus large. C’est clairement du marketing, mais pas de niche, bien que le monde de l’ultra haute-définition sonore en soit une.

      Neil Young se prétend-il le nouveau chef de file d’une révolution numérique, lui qui est issu du mouvement folk, à tendance contestataire? Imaginons une part de sincérité là dedans, car il a toujours prétendu vouloir éradiquer le mp3. Il utilise Kickstarter comme relais médiatique. Mais dans un sens, pourquoi ne pas user de sa notoriété et de son entourage pour faire passer un message? Tout ceci fait beaucoup parler, mais la vraie préoccupation, et on se rejoint complètement sur ce point, c’est: le prix de vente des albums (équivalent au CD) et les revenus engrangés par les artistes. Quels sont les accords passés avec les majors? Vont-elles profiter de leur poids comme elle le font avec le streaming, pour étouffer les plateformes en demandant des avances? Va-t-on avoir une concentration sur les mêmes artistes mainstream que sur iTunes, Deezer, Spotify etc.? Quelle va être la part touchée par les artistes? Dur de savoir pour le moment. En tant qu’amateur de rock, j’ose penser que Neil Young aura la conscience de proposer de la qualité, à l’image de ceux qui le soutiennent dans la vidéo. De plus les artistes en développement auront-il accès à Pono Music pour mettre leur musique en ligne? Tout un tas de questions en somme…

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